Au mois d’août dernier, deux étudiants en cotutelle entre le Québec et la France et membres du Laboratoire international de recherche sur les forêts froides, ont réalisé une campagne de carottage de lacs situés dans les régions des Hautes-Laurentides et de la Gaspésie au Québec. L’objectif était de sélectionner plusieurs lacs afin d’une part, d’y effectuer des analyses d’eau pour déterminer les conditions environnementales actuelles et d’autre part, de prélever des carottes de sédiments pour reconstituer l’histoire environnementale passée de ces aires d’étude. Cette campagne de terrain était financée par l’IRP forêts froides.
Thomas Suranyi réalise une thèse de doctorat en paléoécologie, en cotutelle entre le Laboratoire Chrono-environnement de Besançon (France) et l’Université de Montréal (Canada) sous la direction de Laurent Millet (CNRS, Chrono-environnement) et d’Olivier Blarquez (UdeM). Son travail s’inscrit dans un projet de recherche sur la dynamique passée des érablières nordiques, qui constituent des peuplements marginaux d’érables à sucre et d’érables rouges au nord de l’aire de répartition continue de ces deux espèces.
Dans ce projet, plusieurs approches paléoécologiques basées sur différentes archives sont mises en œuvre afin de reconstituer l’histoire passée de la végétation, des incendies et du climat. La spécialisation de Thomas porte plus particulièrement sur l’étude des chironomes (Diptères) subfossiles des sédiments lacustres pour reconstruire les variations climatiques passées. Pour cela, il s’est rendu dans les Hautes-Laurentides accompagné de Milva Druguet Dayras, à la transition entre les domaines de la sapinière à bouleaux jaunes et blancs dans un secteur où les érablières nordiques sont étudiées. Parmi les données récoltées, les concentrations en azote, en phosphore, en carbone organique dissous et en dioxygène ainsi que le pH fourniront des informations sur l’habitat lacustre des assemblages de chironomes modernes. Les carottes de sédiment prélevées seront datées puis analysées afin d’identifier les chironomes subfossiles pour produire des reconstructions des températures estivales passées. Ces données sont destinées à améliorer les connaissances sur l’histoire climatique Holocène de cette zone à la transition entre les domaines tempérés et boréaux et de mieux définir le rôle du climat dans l’établissement et la dynamique des érablières nordiques. Les travaux de Thomas sont financés par une bourse de doctorat Mitacs avec le partenaire industriel Forex inc. ainsi que par le CNRS (dispositif EC2CO) dans le cadre du projet CHAZAM (coord. L Millet).
Milva Druguet Dayras réalise aussi sa thèse de doctorat en paléoécologie en cotutelle entre le Laboratoire Chrono-environnement de Besançon (France) et l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT, Québec, Canada), sous la direction de Miguel Montoro Girona (GREMA-UQAT) et Eve Afonso (UFC, Laboratoire Chrono-environnement, France) et la co-direction d’Hubert Morin (UQAC) et Damien Rius (CNRS, Chrono-environnement, France). Sa thèse porte sur les deux perturbations majeures des forêts boréales, les feux de forêt et les épidémies d’insectes ravageurs. Elle s’intéresse plus particulièrement à la tordeuse du bourgeon de l’épinette (TBE ; Choristoneura fumiferana) qui est l’insecte défoliateur causant le plus de dégâts au Québec. Si ces perturbations constituent le sujet de nombreuses recherches en raison de leurs impacts économiques et écologiques, l’interaction de ces deux régimes de perturbations est parfois compliquée à étudier du fait du manque de paléoindicateurs pour la reconstitution plurimillénaire des épidémies de TBE.
Dans ce contexte, la thèse de Milva vise à étudier la dynamique de ces deux perturbations au cours des 1500 dernières années dans des contextes de végétation divers allant de la sapinière à bouleau jaune jusqu’à la limite de répartition de la pessière à mousse, et selon des gradients climatiques nord-sud et ouest-est. Pour cela, Milva met en place une méthode de reconstruction des épidémies de TBE basée sur l’ADN sédimentaire ancien. C’est pourquoi la seconde partie de leur mission s’est poursuivie au parc national de la Gaspésie mais également dans la région de Gaspé (régions fortement affectées par l’épidémie actuelle de TBE). Sur place, des carottes courtes ont été extraites des remplissages sédimentaires. Le but est de reconstruire les interactions feux-climat-végétation-épidémies de TBE dans un contexte climatique beaucoup plus humide et avec un gradient altitudinal bien plus important que ceux de la précédente campagne menée à l’automne 2021 dans la région de l’Abitibi-Témiscamingue. Les carottes récoltées seront ensuite analysées afin de reconstruire les régimes de feux (macro-charbons de bois), les épidémies de TBE (ADN sédimentaire ancien), la dynamique de la végétation (analyses palynologiques), le climat (chironomes), et les communautés de macro-invertébrés (ADN sédimentaire ancien). Ainsi, il sera possible de mettre au point une méthode de reconstruction plurimillénaire des épidémies de TBE et également de dégager un gradient d’interactions des feux de forêts et des épidémies de TBE selon divers domaines bioclimatiques. Ce projet offre les perspectives d’une meilleure compréhension du fonctionnement et de la dynamique des forêts boréales du Québec, ainsi que de leur devenir face au changement climatique en cours. Les travaux de Milva sont financés par une bourse doctorale I-SITE (UBFC, France) et CRSNG (Québec), ainsi que par l’Université de Franche-Comté (dispositif Chrysalide, coord. D. Rius). Une demande de financement ANR (Agence Nationale de Recherche) sera également soumise dans les prochains mois pour entamer de plus larges recherches sur les interactions feux-climat-végétation-épidémies de TBE.
Crédits photo : Thomas Suranyi et Milva Druguet Dayras