L’OBSERVATOIRE DES FORÊTS COMTOISES : un laboratoire à ciel ouvert
Coralie Bertheau, 2023-10-30
En France, le dépérissement des forêts des massifs francs-comtois est alarmant. L’affaiblissement physiologique des arbres est une conséquence directe des bouleversements climatiques et montre à quel point ces écosystèmes sont aujourd’hui vulnérables. Les modifications des paysages et des socio-écosystèmes forestiers sont l’objet de recherches menées conjointement par les laboratoires Chrono-Environnement, ThéMA et FEMTO-ST de l’Université de Franche-Comté, qui sont désormais réunis au sein d’un observatoire spécialement dédié à ces problématiques.
L’objectif majeur de l’Observatoire des Forêts Comtoises (OFC) est d’étudier les capacités de résilience et d’adaptation des forêts face aux changements climatiques. Coupler l’étude de la santé des forêts et des conséquences sur l’écologie et les paysages permettra de donner des clés de compréhension aux professionnels et aux décideurs qui doivent concilier gestion de la forêt et changements climatiques. Le dispositif compte aujourd’hui 7 placettes d’observation d’environ 5 000 m² chacune, réparties au sein de 6 massifs représentatifs de l’hétérogénéité forestière à l’échelle locale et régionale (i.e., peuplements, types de sol, étages altitudinaux, mode de gestion) (Figure 1). Les essences ciblées sont le hêtre (Fagus sylvatica), l’épicéa commun (Picea abies) et le sapin pectiné (Abies alba), toutes trois à fort enjeux écologiques, sociaux et économiques des forêts comtoises.
Figure 1 : Localisation des six massifs d’observations de l’Observatoire des Forêts Comtoises.
Forêts 1 – de la Réserve Naturelle Nationale (RNN) des Ballons Comtois, 2- de Chailluz, à Besançon, 3- de Chaux, 4- du Parc Naturel Régional (PNR) Doubs Horloger, 5 et 6 – du PNR Haut Jura dont 5- de la RNN du Lac de Remoray, 6- Pré bois de La Boissaude
Ce laboratoire à ciel ouvert est régulièrement investi par les chercheurs1 et leurs étudiants. Plusieurs indicateurs stationnels et populationnels qui caractérisent et composent les différents compartiments forestiers, sont et seront mesurés sur minimum 15 ans, de façon à saisir les interactions qui se jouent à moyen terme et appréhender les phénomènes de manière globale. Le but est de suivre, en parallèle, l’évolution du climat, la santé de la forêt, la structure des peuplements, les diversités biologique, génétique et fonctionnelle en lien avec l’histoire du site, la nature du sol et l’étude du paysage (Figure 2). L’observatoire mêle ainsi différents niveaux d’analyse, d’abord l’arbre pour établir son bilan de santé, puis le groupe d’arbres pour analyser la structure du peuplement forestier, la biodiversité de l’écosystème, qui s’évalue à une échelle locale et régionale, tout en considérant l’évolution des paysages et le ressenti par la société. C’est donc un véritable défi, qui appelle à croiser différentes expertises.
Figure 2 : Paramètres suivis au sein de l’Observatoire des Forêts Comtoises.
Un socio-écosystème sous la menace du réchauffement climatique
Quatre années de sécheresse consécutives ont affecté les forêts mixtes franc-comtoises qui présentent un état sanitaire alarmant. Le stress hydrique fragilise les arbres qui deviennent plus sensibles aux champignons pathogènes et insectes ravageurs. Par exemple, la mortalité des peuplements d’épicéa due aux effets cumulés du manque d’eau et de la hausse des températures sont un terreau fertile aux pullulations de scolytes (i.e., Ips typographus, Pityogenes chalcographus). En s’attaquant aux troncs et aux branches, les scolytes entrainent le dépérissement puis la mort des arbres déjà fragilisés par le climat. De plus, ce résineux, qui a fait l’objet de plantations monospécifiques après-guerre dans la région, n’est pas à son optimum écologique en dessous de 800 m d’altitude et se montre donc plus vulnérable aux changements. Le sapin et le hêtre dépérissent également en raison des changements climatiques avec principalement une altération de leur couverture végétale (i.e., jaunissements, rougissements et pertes de feuilles) mais sont, pour le moment, moins soumis aux ravageurs. Ainsi, la physionomie de nos forêts se transforme et soulève des enjeux de gestion et de conservation complexes. D’autre part, il est important de noter que les transformations des paysages forestiers ont un effet visuel considérable et s’accompagnent de la perte d’espaces vitaux pour la faune et la flore.
Une structure fédératrice
Établi officiellement en août 2022 avec une perspective de fonctionnement à long terme, l’OFC réunit des recherches menées à ThéMA et à Chrono-environnement, leur fournissant un cadre scientifique. L’OFC bénéficie également de l’expertise de l’Institut FEMTO-ST, notamment pour le développement des GPS qui aident à la localisation et la maintenance des capteurs de température disséminés sur un vaste espace forestier. Ils participent également au développement du site internet et à celui d’une vaste base de données. Un système de gestion des données sera mis en place prochainement pour stocker diverses formes d’informations, qu’elles soient brutes, préalablement analysées pour faciliter leur interprétation, ou encore modélisées pour l’élaboration de projections. Ces données seront rendues accessibles à un éventail multidisciplinaire de chercheurs et de professionnels de la gestion et conservation forestière.
Un lieu de formation et d’échange
L’observatoire, qui s’inscrit également dans les activités de la Zone Atelier de l’Arc Jurassien (ZAAJ), se veut être un élément clé pour l’apprentissage des sciences environnementales auprès des étudiants pour accroître leur intérêt par une recherche intégrée. Les étudiants participent à la prise de données à l’occasion d’écoles de terrain, de stages ou de projets tuteurés dans lesquels ils pourront échanger leurs perspectives et questionnements sur les enjeux multidisciplinaires des recherches menées à l’observatoire. Par ailleurs, c’est un support d’échanges précieux pour valoriser les sciences écologiques auprès de différents publics tout en les sensibilisant à la fragilité de l’écosystème forestier.
1Chercheurs impliqués :
- CHRONO ENVIRONNEMENT : Julien Azuara (Écologie, Paléoécologie), Carole Bégeot (Ecologie, Paléoécologie), Coralie Bertheau (Écologie, Entomofaune-Insectes ravageurs), Philippe Binet (Microbiologie, Mycorhizes), Sylvie Damy (Base de données), Emmanuel Garnier (Historien), Olivier Girardclos (Dendrométrie, Dendrochronologie), Eric Lucot (Pédologie), Anne-Lise Mariet (Écologie, Contamination sols), Arnaud Mouly (Biologie, Botanique), Julien Parelle (Ecophysiologie, Télédétection) ; Pascale Ruffaldi (Écologie/Paléoécologie, Botanique), Fabienne Tatin Froux (Ecophysiologie, Cycles biogéochimiques),
- FEMTO-ST: Marie-Laure Betbeder (Base de données), Jean-Michel Friedt (Développement capteur, GPS), Bénédicte Hermann (Base de données), David Trannoy (Site internet et Développeur Base de données)
- THEMA : Eric Bernard (Géographe, Climatologie), Xavier Girardet (Géographe, Écologie du paysage), Damien Marage (Géographie, Paysage et Écologie forestière), Sébastien Nageleisen (Géographie, Paysage et Écologie forestière)